Extraits du livre « À l’écoute du silence«
Chapitre X
Maurice ZUNDEL
ÊTRE PAUVRETÉ
(M. Zundel parle à des religieuses cloîtrées)
La plus haute expression du christianisme est celle de la découverte de la Pauvreté.
C’est l’intuition profonde, vivante, rayonnante de la Pauvreté de Dieu. (…)
Saint François, parce qu’il est poète, n’a pas besoin de formules, il nous jette au cœur du mystère :
- Le Père n’a rien, il n’est qu’un regard vers le Fils.
- Le Fils n’a rien, il n’est qu’un regard vers le Père.
- Le Saint-Esprit n’a rien, il n’est qu’une aspiration vers le Père et le Fils.
Dieu est pauvre. Dieu n’a rien. Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien.
Tout ce qu’on garde, on le perd.
Quand on veut garder une connaissance pour soi, on la perd en la stérilisant ;
quand on veut garder l’amour pour soi, on tourne le dos à l’amour en le perdant.
C’est la loi de l’esprit.
L’admirable logique du monde de l’esprit, c’est la pauvreté.
L’existence infinie c’est la pauvreté. (…)
La seule véritable clé de l’Evangile, de la vie, de la sagesse, de l’Amour,
la seule grâce c’est de savoir que c’est Dieu qui est pauvre, fragile, sans défense, parce qu’il ne peut qu’aimer.
La croix c’est Dieu qui pleure, c’est Dieu qui meurt de nos refus d’Amour.
Saint François enseigne à donner au Christ autant qu’on en a reçu :
il veut mourir d’Amour et nous voilà dans la joie de l’infini d’Amour.
…Être Pauvreté… Il n’y a de grandeur que dans le don de soi.(…)
Dieu nous appelle uniquement à cette liberté totale de l’Amour qui est pur don.
L’action qui vaut est celle qu’on exerce par sa propre existence.
L’action actuellement n’est plus souvent qu’une technique.
Il y a dans le Monde beaucoup d’actions, il y en a de très belles, et on se demande parfois, tant il y en a, si ce n’est pas un besoin d’agitation des nerfs.
Mais au cœur de l’action, une seule compte, celle qui existe parce que nous sommes.
Derrière l’action, derrière les paroles, il faut quelqu’un, une Présence,
des abîmes de silence qui ne peuvent se dire,
qui ne peuvent que rayonner - l’intimité même de l’amour qui ne peut se donner qu’à une présence réelle.
Votre vie cachée dans le silence de Dieu constitue dans l’Eglise l’arrière-plan de la liberté qui doit féconder et porter à travers le Monde la Présence ineffable de l’Amour.
Les seuls agissants sont ceux qui portent en eux-mêmes la Présence Divine.
Ceux qui agissent sont ceux qui existent.
Ils n’ont pas besoin de parler.
Il leur suffit d’être.
Le vrai bien est ce que l’on est.
Le sens de la vocation claustrale est de thésauriser le silence de l’Amour,
le silence de la louange,
le silence du don de soi,
de susciter dans le Monde ces jardins de Dieu,
prises d’air sur la liberté et l’amour.
Pas de vocation plus haute, plus urgente, car elle donne le sens de la vocation humaine qui est la connaissance de Dieu.
Elle est d’abord une liberté, une dignité, une respiration d’Amour.
Vous êtes ici pour accomplir la plénitude du Corps Mystique.
A cause de cela, chaque geste de votre vie est sacré, comme un sacrement, un signe sensible ;
il transmet une Présence.
Les cathédrales ne serviraient à rien,
la Présence réelle du Sauveur, même, n’a de sens que si elle est accessible à travers des âmes qui s’ouvrent au silence de Dieu.
Chaque âme consacrée doit être une vivante hostie,
une présence réelle, pour que le Monde entier en reçoive la Lumière et la Joie. (…)
Ne jamais faire du bruit avec soi pour ne pas empêcher la « musique »,
pour entendre la « petite voix » au fond de soi.
Ne jamais faire du bruit en soi-même, pour que le Monde entier s’y retrouve en ce Dieu qui n’est qu’Amour,
en ce Dieu qui nous est confié,
qui est remis entre nos mains et qui veut naître en nos cœurs comme du cœur de Marie.
Alors il naîtra de nous, pour que dans chaque âme, pour que chaque jour, il y ait un Noël.
M. Zundel