Extraits de « Silence Parole de vie »
Maurice Zundel
Le Christ nous a délivrés de cette vision épouvantable et cauchemardesque d’un dieu qui ferait de nous des esclaves.
Il nous a appelés ses amis, il ne veut pas que nous soyons ses serviteurs.
Et il a dit à ses amis le secret de son intimité (…) qui est la Trinité sainte.
Et il nous a donné enfin la clé de notre liberté.
Car que signifie la liberté, sinon le pouvoir de se donner et de tout donner en se donnant ?
Être libre, ce n’est pas choisir entre une botte de foin et une botte d’asperge, se décider pour ou contre, dans des détails sans importance,
mais c’est tout le jour et toute la vie pouvoir faire de notre être qui paraît d’abord limité et rivé à l’Univers, un élan qui nous jette en Dieu.
Nous comprenons par-là comment l’humilité est la signature de Dieu.
En effet, Dieu est le dépouillement infini d’une communication où tout est don, et s’il ne peut rien perdre, c’est qu’il a tout perdu éternellement, qu’Il a tout donné.
Comme St François le disait lui-même :
« Qui pourrait être jaloux de moi puisque je ne possède rien et que je ne prétends à rien ? » (…)
C’est ainsi qu’est Dieu : Il ne peut rien perdre parce qu’éternellement Il a tout donné.
Dieu ne peut avoir d’autre visage que celui-là,
et c’est pourquoi il est un Dieu fragile, un Dieu que n’importe qui peut tuer.
C’est pourquoi Il est désarmé devant nous comme est la vérité, comme est la musique, comme est l’Amour. Est-ce que la vérité va surgir des livres que vous ne lisez pas,
va vous tomber sur le crâne en vous obligeant à méditer et à réfléchir ?
Vous savez bien que la vérité ne peut entrer en vous que si vous entrez en elle.
Et la musique, elle non plus, si vous tapez sur une casserole pendant qu’on joue une grande symphonie, elle ne va pas non plus se défendre, elle va mourir, elle va mourir de cette cacophonie, elle va s’éteindre dans tout ce bruit, elle va s’éteindre et non pas se venger.
Eh bien, Dieu n’est-il pas la musique, « la musique silencieuse » comme dit St Jean de la Croix,
n’est-il pas l’Amour ?
Comment voulez-vous qu’il se révèle autrement que dans le dialogue, dans la réciprocité, dans le mariage, c’est-à-dire dans l’espèce, dans l’infinie fragilité ?
Me trouvant un jour à Saïda et regardant à travers les arches d’un vieux frêne,
regardant le minaret d’une mosquée se profilant sur le ciel à côté du clocher d’une église, je me disais :
Que dit la mosquée ?
La mosquée dit : Dieu est le Clément, Dieu est le Miséricordieux comme Il est le Tout-Puissant : Il est seul, laissez-vous conduire par Lui, abandonnez-vous à Lui.
C’est beaucoup déjà.
Mais que dit l’Église ?
L’Église dit par la croix où l’Amour est crucifié :
Dieu s’abandonne à vous, Dieu se remet entre vos mains, Dieu fait crédit à votre amour.
C’est infiniment plus encore, car il ne s’agit plus de passer par les contraintes d’une volonté étrangère,
il s’agit d’entrer dans un amour désarmé, sans défense, qui nous est livré et qui se confie à notre générosité en ne faisant appel, justement et uniquement, qu’à notre générosité.
Nous n’allons donc plus faire le signe de croix désormais d’une manière indifférente.
Quand nous prononcerons ces noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
nous saurons que nous sommes au foyer le plus brûlant et le plus passionnant de l’Éternel Amour,
que c’est par là que notre dignité a été consacrée,
que nous sommes devant Dieu non pas des esclaves et des serviteurs,
mais des consciences libres, que notre « oui » est indispensable à Dieu comme le « oui » réciproque des fiancés (…)
Car la Croix, qui étend les bras vers nous, la Croix veut dire cela :
c’est Dieu qui est victime de toutes nos défaillances.
Dieu ne nous fera jamais défaut, Il ne pourra jamais cesser de nous aimer et de mourir d’amour si nous refusons de l’aimer (…)
« L’Homme est l’espérance de Dieu »
Maurice ZUNDEL
Extraits de « Silence Parole de vie »
Deuxième jour, troisième méditation. Pages 79 à 82