Le choix de vie : marchand, guerrier ou prêtre…
» … Mais rapprochons-nous un peu. Écoutons les bruits du monde (au 13e siècle) à la fenêtre : le bruit de l’or, le bruit de l’épée, le bruit des prières.
Ceux qui comptent leurs sous derrière un rideau lourd.
Ceux qui cuvent un vin noir au fond de leurs châteaux.
Ceux qui marmonnent sous la dentelle des anges… Le marchand, le guerrier et le prêtre. Ces trois-là se partagent le treizième siècle.
Et puis il y a une autre classe. Elle est dans l’ombre, trop retirée en elle-même pour qu’aucune lumière puisse jamais l’y chercher.
Elle est comme la matière première des trois autres.
Les marchands y puisent la main d’œuvre dont ils ont besoin.
Les guerriers y trouvent de quoi y renouveler leurs armées.
Les prêtres y flairent les âmes dont ils ont goût.
Ces trois-là espèrent quelque chose en récompense de leur travail : la fortune, la gloire ou le salut.
Cette classe n’espère rien, pas même le passage du temps, l’endormissement de la douleur.
Cette classe est celle des pauvres. Elle est du treizième et elle est du vingtième, elle est de tous les siècles. Elle est aussi vieille que Dieu, aussi muette que Dieu, aussi perdue que lui dans sa vieillesse, dans son silence.
Elle donnera à François d’Assise son vrai visage. Un visage bien plus beau que celui en bois peint des églises, bien plus pur que celui des grands peintres. Un simple visage de pauvre. Un pauvre visage de pauvre, d’idiot, de gueux. »
(Christian Bobin. » Le Très-bas. »
Coll. L’un et l’autre.
Ed Gallimard)
(À suivre…)