Une jolie page sur la maman de Saint François d’Assise…
» Elle est belle. Non, elle est plus que belle.
Elle est la vie même dans son plus tendre éclat d’aurore.
Vous ne la connaissez pas. Vous n’avez jamais vu un seul de ses portraits, mais l’évidence est là, l’évidence de sa beauté, la lumière sur ses épaules quand elle se penche sur le berceau, quand elle va écouter le souffle du petit François d’Assise qui ne s’appelle pas encore François, qui n’est qu’un peu de chair rose et fripée, qu’un petit d’homme plus démuni qu’un chaton ou qu’un arbrisseau.
Elle est belle en raison de cet amour dont elle se dépouille pour en revêtir la nudité de l’enfant. (…)
Toutes les mères ont cette beauté. Toutes ont cette justesse, cette vérité, cette sainteté. (…)
La beauté, le Christ n’en parle jamais. Il ne fréquente qu’elle, dans son vrai nom : l’Amour !
La beauté vient de l’Amour comme le jour vient du Soleil, comme le Soleil vient de Dieu, comme Dieu vient d’une femme épuisée par ses couches.
Les pères vont à la guerre, vont au bureau, signent des contrats.
Les pères ont la société en charge. C’est leur affaire, leur grande affaire. Un père c’est quelqu’un qui représente autre chose que lui-même en face de son enfant, et qui croit à ce qu’il représente : la loi, la raison, l’expérience : la société.
Une mère ne représente rien en face de son enfant. Elle n’est pas en face de lui mais autour, dedans, dehors, partout. Elle tient l’enfant levé au bout des bras et elle le présente à la vie éternelle. Les mères ont Dieu en charge. C’est leur passion, leur unique occupation, leur perte et leur sacre à la fois.
Être père c’est jouer son rôle de père.
Être mère c’est un mystère absolu, un mystère qui ne compose avec rien, un absolu relatif à rien, une tâche impossible et pourtant remplie, même par les mauvaises mères. (…)
Les mères naissent en même temps que leurs enfants. (…) Et si toute beauté pure procède de l’Amour, d’où vient l’Amour, de quelle matière est sa matière, de quelle nature sa surnature ?
La beauté vient de l’Amour. L’Amour vient de l’attention. L’attention simple aux simples, l’attention humble aux humbles, l’attention vive à toutes vies, et déjà à celle du petit dans son berceau, incapable de se nourrir, incapable de tout, sauf des larmes. Premier savoir du nouveau-né, unique possession du prince à son berceau : le don des plaintes, la réclamation vers l’Amour éloigné, les hurlements à la vie trop lointaine – et c’est la mère qui se lève et répond (…) De là vient tout. Hors de là, rien. Il n’y a pas de plus grande sainteté que celle des mères épuisées par les couches à laver, la bouillie à réchauffer, le bain à donner. (…)
D’ailleurs il n’y a pas de saints. Il n’y a que de la sainteté. La sainteté c’est la joie. Elle est le fond de tout. La maternité est ce qui soutient le fond de tout. La maternité est la fatigue surmontée, la mort avalée sans laquelle aucune joie ne viendrait. »
(Christian Bobin. » Le Très-bas. »
Coll. L’un et l’autre.
Ed Gallimard)
(À suivre…)