St François d’Assise est devenu adulte. Il travaille avec son père marchand d’étoffes et de draps.
Les affaires sont bonnes. François mène une vie facile, faite de filles, de jeu et de bonne chère.
Puis il part à la guerre, il est fait prisonnier en 1202, relâché un an après, il tombe malade en 1204.
Une conversion se prépare dans sa tête, dans sa vie…
» On somnole sous des épaisseurs de plume et de fièvre. On se remet doucement d’une maladie. On en rajoute un peu, chacun y trouve son compte : la mère et le fils.
La mère qui retrouve les gestes immémoriaux de la servante – une main douce dans les cheveux en broussaille de l’enfant, une main de lumière sur son cœur pâle.
Le fils qui renoue avec la gloire des nouveaux nés : un soupir suffisant à remuer toute la maisonnée, alerter tous les anges. Les amis viennent à son chevet. Les jeunes dames s’inquiètent de sa santé. On ne sait trop ce qu’il a. Un teint trop clair, un teint de lait, et puis cette brillance au fond des yeux. On dirait un feu couvant. On craint un incendie.
Il tourne et retourne dans son lit. Il tourne et retourne dans sa vie. Les draps sont froissés, désagréables au toucher, ils frottent sur la peau, leurs plis rougissent les chairs. La vie est usée, elle est moins aimable à goûter, elle frotte sur l’âme, abîme le songe. On ne peut en parler à personne. On ne peut confier à personne que l’on voudrait quitter cette vie pour une autre, et que l’on ne sait comment faire. Comment dire à vos proches : votre amour m’a fait vivre, à présent il me tue. Comment dire à ceux qui vous aiment qu’ils ne vous aiment pas.
Trois mots donnent la fièvre. Trois mots vous clouent au lit : changer de vie.
Cela est le but. Il est clair, simple. Le chemin qui mène au but, on ne le voit pas. La maladie c’est l’absence de chemin, l’incertitude des voies. On n’est pas devant une question, on est à l’intérieur. On est soi-même la question. Une vie neuve, c’est ce que l’on voudrait, mais la volonté faisant partie de la vie ancienne, n’a aucune force.
On est comme ces enfants qui tendent une bille dans leur main gauche et ne lâchent prise qu’en s’étant assurés d’une monnaie d’échange dans leur main droite : on voudrait bien d’une vie nouvelle mais sans perdre la vie ancienne. Ne pas connaître l’instant du passage, l’heure de la main vide. (…)
Tout vous retient, la mère, les amis, les jeunes dames. On n’aime plus guère cette vie-là, mais au-moins on sait de quoi elle est faite. Si on la quitte, il y aura un temps où on ne saura plus rien. Et c’est ce rien qui vous effraie. Et c’est ce rien qui vous fait hésiter, tâtonner, bégayer – et finalement revenir aux voies anciennes. »
François se prépare pour une nouvelle guerre, puis change d’avis. Il fait ses adieux à sa maisonnée lors d’un ultime banquet fastueux, puis il part dilapider son argent en voyageant, en chantant…
» Il va à Rome – parce que c’est loin : là-bas personne ne le connaît. Il rôde autour des mendiants comme hier il traînait autour des plus belles filles. Il est comme un chien flairant du gibier. Il ne cherche pas la pauvreté. Il cherche l’abondance qu’aucun argent ne sait donner. Il devine à l’instinct que la vérité est bien plus dans le bas que dans le haut, bien plus dans le manque que dans le plein. Et qu’est-ce que la vérité ? La vérité n’est rien d’extérieur à nous. La vérité n’est pas dans la connaissance qu’on en prend mais dans la jouissance qu’elle nous donne. La vérité est une jouissance telle que rien ne peut l’éteindre, un trésor que même la mort – cette pie voleuse – ne saura prendre. Et il en est très près. Il le sait, il le sent.
(Christian Bobin. » Le Très-bas. »
Coll. L’un et l’autre.
Ed Gallimard)
François fera sa rencontre avec la vérité dans la léproserie près d’Assise…
Je vous laisse découvrir la suite, sa vie bouleversée, transformée,
le procès avec son père et son départ pour la grande pauvreté :
« dame pauvreté « …
J’espère vous avoir donné envie de lire ce livre,
si simple et tellement vrai.
Bien amicalement
Denis – dj34450